• Séverine a accepté de témoigner d'un trouble encore peu connu notamment des professionnels de santé en charge de victimes, le traumatisme vicariant. Il est à prendre en compte au delà des conditions difficiles de travail inhérentes au métier. Je la remercie pour cette initiative qui a pour but d'informer et d'alerter les personnes au bord de l'épuisement professionnel ou qui s'effondrent complètement sans comprendre ce qui leur arrive.

    " Moi Séverine 46 ans , assistante sociale mais plus fière de l'être...

    Maman de 2 jeunes enfants, un parcours professionnel riche dans différentes régions en milieu hospitalier. L'hôpital ce milieu où je me sentais passionnée et toute puissante m'a détruit à petit feu. 8 ans aux urgences à gérer des situations de violences , à recevoir des victimes à la vie brisée, des témoins d'une fusillade qui a fait 5 morts, à protéger une femme victime de strangulations par son mari armé et en fuite, le travail avec la BAC, les pompiers... Rencontrer des parents en plein délire mystique, des patients qui vont aller se jeter sous un train "si l'assistante sociale ne signe pas l'HSDT" selon certains psychiatres, des montées d'adrénaline entourée d'une équipe formidable placée au premier plan dont l'implication était indéniable, et quelle fierté je ressentais d'être à leur côté.

    Ma vie sentimentale m'a permis de partir et de poursuivre mon chemin dans d'autres hôpitaux plus petits mais moins d'adrénaline, moins de sentiment de toute puissance avec des situations tout autant dramatiques, agression sexuelle d'une petite fille de 3 ans, abandon d'un bébé par sa mère pour aller commettre un crime, rencontre de parents d'enfants très violents qualifiés parfois d'irrécupérables... Et malgré la rencontre de professionnels formidables, le sentiment d'être de plus en plus seule ou pas à ma place. Une hiérarchie tantôt exigeante tantôt défaillante, une organisation hospitalière de moins en moins claire, ou des professionnels passionnés et investis, ou des professionnels fatigués, résignés, se sentant malmenés et pas à leur place avec le sentiment de faire tout sauf leur travail. "Je n'étais pas là hier, je ne connais pas le patient, vois avec quelqu'un d'autre"..."J'en ai marre des vieux"..."L'hôpital n'est pas un hôtel"..."Ils viennent ici parce que c'est gratuit", autant de phrases entendues tous les jours et devenues insupportables à mes oreilles ... La population est vieillissante, on accueille rarement à l'hôpital des jeunes, beaux et en pleine forme, non l'hôpital n'est pas gratuit...

    Mon téléphone qui sonne toutes les 5 minutes, il faut être à 3 endroits en même temps, les patients qui ont des problèmes sociaux doivent sortir dans 2 heures ... Les patients qui viennent d'être admis et dont l'assistante sociale doit régler le devenir alors qu'ils n'ont même pas été vus par le médecin ! Le médecin qui a l'impression de ne gérer que des problèmes sociaux, l'infirmière qui n'a plus le temps de parler aux patients ni de les reconnaître, l'aide soignant qui a l'impression de faire le boulot de l'infirmier, le cadre qui doit être un bon manager et les administratifs à qui l'on reproche de ne servir à rien, la direction soit disant incompétente qu'il est mieux d'envoyer ailleurs pour une promotion...

    Une vision du service publique qui m'est devenue insupportable. Des familles et des patients catalogués de "chiants et qui profitent du système", qui ne disent rien ou qui explosent entre autres dans le bureau de l'assistante sociale et n'osent pas écrire à la direction.

    Et moi et moi et moi !

    Plus de sens au travail, une fatigue permanente, une anxiété à toute épreuve, des vacances qui ne reposent pas, le divorce du voisin qui m'envahit, l'accident de la route qu'on me relate où j'ai le sentiment d'être touchée personnellement, les problèmes des amis qui me touchent trop, les enfants qui jouent qui s’insupportent, la remarque avec humour qui me fait pleurer, et puis un jour le trop plein. J'apprends par inadvertance que mon bureau doit être occupé un mois plus tard par un professionnel de la direction, mon bureau, mon seul refuge où je pouvais me protéger, fermer mes écoutilles. On me propose un bureau sans fenêtre au milieu d'un escalier puis un superbe bureau... dans un service vide...

    Je pars me ressourcer à Paris, retrouver des copines et sortir dans les rues parisiennes le 13 novembre 2015 et là  j'ai peur, Paris se vide, des terroristes tirent sur des terrasses de café, il fait se mettre à l'abri, des victimes sont annoncées et les terroristes se déplacent dans Paris et tirent à vue. Qu'est ce que je fous ici ? Je ne me sens d'aucune utilité pour aider les gens en détresse, je suis en vie moi , tout va bien. Je rentre chez moi anesthésiée par les événements et exaspérée par ce que je perçois comme de l'indifférence chez les gens qui continuent à vivre comme si de rien n'était... ça m'exaspère de façon démesurée.

    Je retourne au travail avec la force de me battre et d'obtenir qu'on me laisse mon bureau, il y a plus grave... Et puis Noël arrive, les festivités, les vacances, je vais pouvoir faire une coupure, me reposer et la maison est cambriolée le soir de Noël... Impossible de reprendre le travail, je suis anéantie, bloquée, phobique de tout ce qui pourrait m'arriver de plus ! Mais comment me justifier, je n'ai rien de grave ! Les problèmes de santé s'enchaînent pendant 3 mois des douleurs physiques. Je fais appel à différents médecins et thérapies qui me soulagent... Dans 2 mois je vais retourner au travail. 

    Je vivote, je m'investis au niveau associatif, je fais du sport, je fais bonne figure mais le regard des autres est lourd et les remarques me blessent, l'élan n'y est pas. J'agis comme un robot. "Toi dépressive ? On dirait pas , j'aurais jamais cru, ce n'est pas possible, tu as toujours été trop sensible et quant est ce que tu reprends le travail"???? Mais foutez moi la paix, je veux du calme, pas de speed, j'ai pas envie d'en parler, je ne veux plus parler de mon travail, j'ai honte de mon travail, je vais faire une formation, postuler ailleurs...

    Impossible de passer à l'action. Je ne m'ennuis pas mais je voudrais m'ennuyer à nouveau, j'ai mal dans mon corps, le foie, les articulations.

    Le malaise du travail prend tout son sens lors des séances de thérapie et d'EMDR. L'épuisement insidieux depuis des années, les relations familiales et professionnelles difficiles, des relations toxiques. Les séances rythment mon quotidien et je lâche toutes mes angoisses et surtout mes traumatismes inscrits dans mon esprit et mon corps. Elles m'aident à dire non, à réinvestir ma personne et porter un regard bienveillant sur ce que je suis.

    Mon arrêt de travail devient légitime à mes yeux. La culpabilité laisse place doucement mais sûrement à un apaisement, une colère atténuée tout en continuant à défendre mes valeurs. J'ai pu reprendre le travail dans un cadre protégé avec le concours de la médecine du travail. Le contexte de travail reste compliqué mais j'ai pu me positionner à nouveau et je parviens à refaire mon travail correctement sans donner plus, et j'ai pu aussi intégrer un bilan de compétences. Ce qui est important pour moi, c'est de ne plus être dans le ressenti de l'urgence de faire les choses, mais de ne pas nier mes valeurs et ma sensibilité, mon dynamisme, mettre mes qualités à mon service avant tout et non au service des autres...

    Il reste du chemin à parcourir ... fort heureusement ! et surtout de ne pas régler les problèmes trop vite, se laisser le temps de vivre les événements de la vie différemment tout en ayant conscience du passé mais avec un regard et un ressenti différent. L'EMDR m'a permis ça

    et de toujours garder à l'esprit qu'est ce qui est important pour moi maintenant."

    Séverine

     


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