• Quand le passé vit dans le présent

    Quand le passé vit dans le présent

     

     

    Dans ce nouvel article je voudrai parler d'un aspect particulier des empreintes traumatiques (ie. réseaux de mémoires dysfonctionnellement stockées), leur capacité à se réactiver dans le présent : ce qu'on appelle souvent reviviscences. Le monde de la santé a été frappé, dans les cas des vétérans de guerre, par leur capacité à se dissocier, à « partir » dans leurs traumatismes. Ils perdaient le contact dans l'ici et maintenant et une partie de leur cerveau était bloqué dans les événements traumatiques qui se réactualisaient au présent. Le traumatisme peu se résumer par le passé qui vit dans le présent : au travers des rêves, cauchemars, flash-back (une image qui s'impose à la conscience durant une phase d'éveil), mais aussi par les émotions.

    Cela ne vous est jamais arrivé de vous « tromper de colère » ?

    - Une situation frustrante ou légèrement agaçante qui déclenche en vous une colère disproportionnée.

    - Une personne qui dit une phrase, fait un geste, ou a un comportement qui vous rappelle une autre personne pour qui vous avez beaucoup de colère... et c'est la première personne qui en devient la cible.

    Celles là aussi sont des reviviscences, c'est-à-dire des activations d'empreintes traumatiques au présent.

     

    Exemple d'activation d'empreinte traumatique :

    Une femme est seule le soir chez elle, elle cuisine en attendant le retour de son mari et de ses enfants. Sans qu'elle ne l'entende, un cambrioleur entre chez elle. Les deux personnes se rencontrent devant les fourneaux, aussi étonnés l'un que l'autre car le cambrioleur pensait la maison vide. Une bagarre rapide s'engage et la femme, envahie et dépassée par la peur, perd connaissance. Le mari rentre avec les enfants, découvre sa femme inconsciente dans la cuisine. Cette dernière reprend vite ses esprits et lui raconte l'aventure. Par prudence monsieur emmène sa femme aux urgences, quelques bilans biologiques sont faits, tout va bien. Le lendemain madame porte plainte à la police et raconte son histoire de façon brève et sans émotion. Elle ne semble pas affectée par ce qui lui est arrivé et le cours de sa vie reprend son rythme normal.

    Deux mois plus tard Madame fait du shopping dans un magasin de cuisine, dans son dos une cliente percute un étal et une casserole tombe au sol. Madame sent son corps s'accélérer, elle se sent en danger et se dit qu'elle va mourir, elle part en crise d'angoisse majeure qui dure plus de dix minutes... Elle ne sait, ni ne comprend, ce qui vient de lui arriver et elle décide d'aller voir un psychologue.

    Elle comprend bien plus tard, au cours du traitement EMDR, que lors de son agression le cambrioleur avait fait tomber une casserole et que son cerveau avait encodé ce son comme appartenant au traumatisme.

    Cet exemple montre comment un élément d'une scène traumatique peut se retrouver emprisonné dans le cerveau et devenir plus tard un déclencheur qui fera revivre le traumatisme du passé au présent. Parfois ces déclencheurs sont conscients mais parfois ils sont passés dans l’inconscient et il est difficile de refaire le lien avec une simple réflexion. En EMDR nous accordons énormément d'importance au corps. Comme disait Babette Rotschild « le corps se souvient ! », nous avons une mémoire corporelle et les implications de cette découverte sont très importantes pour le domaine des psychothérapies.

    Je vais vous faire part de l'intervention du Docteur MEUNIER Gilbert, médecin homéopathe, praticien EMDR Europe, qui a fait une présentation à la journée d'étude d'EMDR à Toulouse le 16 mars 2012, qui va dans ce sens. Il explique que certaines maladies physiologiques peuvent être traitées comme des symptômes de reviviscences traumatiques. Dans ce domaine il donne de nombreux exemples, je vous livre une liste non exhaustive de ce genre de maladies :
    - Allergies
    - Asthme
    - cystites
    - Psoriasis
    - Herpès, Zona
    - Verrue
    - Constipation et troubles gastriques et intestinaux
    - Dermite séborrhéique de la face
    - etc.

    Cela ne signifie pas que tous ces troubles sont traitables en EMDR mais que certains sont liés à un souvenir traumatique et donc traitable comme tel, avec un taux de réussite de 70%. On ne cible pas le symptôme mais les sensations physiques du symptôme. Ce sont ces sensations physiques qui sont vues comme des reviviscences.

    Exemple d'un cas d'allergie aux graminées

    Une patiente se présente pour allergie bucco-nasale aux graminées. En traitement EMDR, et en ciblant uniquement les sensations physiques de l'allergie (nez qui coule, les yeux irrités, vasoconstriction pulmonaire) un souvenir revient. La patiente est en Italie avec ses parents et sa nièce, ils se baladent en forêt. Sa jeune nièce tape du pied dans une boîte de conserve. Le boîte de conserve se trouve en fait être une ancienne mine, qui explose à ce moment là. Les capacités d'intégration de la patiente sont submergées et le traumatisme est figé dans le cerveau de façon primaire, comme cristallisé en englobant les images, les sons, les sensations physiques... et les odeurs. Les graminées dans l'air de la forêt sont encodées comme faisant partie du trauma et le corps y réagit de manière défensive. Après deux séances la patiente ne présente plus d'allergie, c'est-à-dire que son corps ne se comporte plus de la même manière face au déclencheur que sont les graminées.

    Ceci ne fonctionne que si l'état pathologique du patient est lié à une situation émotionnelle. Dans ce cas la maladie apparaît comme l'adaptation quasi immédiate du corps à une situation. Le traumatisme est un « arrêt sur image » (hypermnésie). Le corps réagit comme il peut face à l'agression qu'est le traumatisme, de manière défensive. Dans cet exemple l'allergie peut être vue comme un rejet du corps face au stimulus que sont les graminées.

     Que cela soit le bruit de la casserole qui tombe dans notre premier exemple ou les graminées dans notre deuxième exemple, ces stimuli agissent de la même manière comme déclencheurs et viennent faire revivre au présent un événement de vie qui se situe au passé et qui n'a pas été digéré. Ce sont des réseaux de mémoire dysfonctionnellement stockés.

     

     


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  • Une rencontre avec le « réel de la mort »

      Les Grecs anciens disaient que la mort ne nous concerne pas. Quand on est vivant, on n’est pas mort ; quand on est mort, on n’est plus là pour penser ce que c’est que d’être mort. Freud disait la même chose d’une façon moins amusante : nous savons tous que nous allons mourir, mais nous n’y croyons pas. Nous vivons comme si nous étions immortels. La mort ne figure pas dans l’inconscient, et d’ailleurs par quoi pourrait bien être représenté le néant ? Lors de l’effraction de l’image traumatique, cette image du réel de la mort, il n’y a aucune représentation pour l’accueillir, la prendre en charge, la lier à d’autres représentations.

     

    Nous ne percevons jamais le réel, mais une réalité prise dans une signification déjà là. Nous décodons le réel au travers de filtres qui sont des « grilles de décodages du réel » issues de différents environnements et d’apprentissages. C’est ainsi que deux témoins d’une même scène en feront des récits différents. C’est ainsi que se forment les souvenirs de plus en plus déformés avec le temps. Il n’y a pas de souvenir dans le traumatisme, c’est une perception brute, figée, comprenant de manière « primaire » les informations non digérées (et non décryptées au travers de nos grilles de décodage du réel). Cette perception brute se répète, toujours la même, avec le sentiment si angoissant que l’événement traumatique est en train de se reproduire encore et encore. Dans cette perception brute, nous y trouvons les cognitions négatives, les images, les sons, les odeurs, les émotions, les sensations physiques. Tout cela n’est ni digéré, ni décrypté car nous n’avons pas réalisé ce qui nous est arrivé. L’humain est condamné à répéter tant qu’il n’a pas réalisé ce qui lui était arrivé. Face au traumatisme le phénomène de réalisation n’existe plus.

     

    Pour Lebigot, trois types de situation réunissent les circonstances d’un possible traumatisme psychique :

     

    • la menace vise le sujet lui-même : accident de la route, menace de mort, agression …,

    • la mort d’un alter ego sous les yeux du sujet, sachant que tout humain a vocation à être un alter ego,

    • la mort horrible : l’horreur n’est pas absente des cas précédents, mais ici c’est le caractère collectif de la chose qui crée le sentiment d’insoutenable du spectacle… outre la vision de cadavres et de mourants, il y a aussi l’état des corps. 


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  • Traumatisme psychique

    Dépistage – traitement


                 Je fais parti de la CUMP de la Somme (cellule d’urgence médico-psychologique), nous intervenons sur site et en différé lors de catastrophes ou d’accidents à fort retentissement collectif. De part cette activité, je suis amené à suivre des patients ayant vécu des traumatismes psychiques.

     

                Comment reconnaît-on un traumatisme ?

                L’état de stress post traumatique (ESPT) est le diagnostique du traumatisme psychique issu de la classification américaine du DSM IV (PTSD : Post Traumatic Stress Disorder en anglais). Cette classification est très connue bien que comportant quelques lacunes. Quand un traumatisme fait irruption la personne n’est pas confrontée à un stress mais à un effroi. Cet effroi amène une rupture dans le sentiment continue d’existence, et peut amener une désorganisation de la vie quotidienne allant jusqu’à une modification de la personnalité de la victime traumatisée. Le syndrome post traumatique peut apparaître avec un délai de quelques semaines à quelques mois, voir parfois quelques années à distance de l’événement traumatisant.

                Nous pouvons résumer les symptômes en trois catégories :

                1- Les symptômes intrusifs.

                On y retrouve les reviviscences, les victimes revivent le traumatisme au travers de cauchemars, des flashback (images s’imposant à la conscience durant les phases d’éveil). Certains sons, certaines images peuvent réenclencher le vécu du traumatisme comme cet ancien casque bleu qui se jette ventre au sol dès qu’il entend un pot d’échappement claquer pensant que c’est une bombe…

                2- Les symptômes d’évitement

                Les victimes mettent souvent en place des stratégies pour faire face à leurs angoisses, ils évitent par exemple les lieux où ils savent que leur traumatisme pourra faire irruption, ils peuvent aussi éviter de regarder les informations à la TV, etc. Même si cela peut fonctionner durant un temps, les conséquences à moyen et long terme sont un repli au domicile, et une inhibition majeure.

                 3- Les symptômes d’hyperactivité neurovégétatifs

                Très fréquents lors d’agressions, les victimes sont en hyper vigilance, attentifs au moindre bruit, sur le « qui-vive » ! Cet état amène très rapidement un épuisement psychique.

     

                Associé à ces trois catégories d’autres troubles peuvent ensuite se rajouter :

    -Trouble du sommeil (lié souvent aux cauchemars)

    - Trouble de l’appétit

    - Déréalisation

    - Dépression

    - Remaniement de la personnalité

    -  Repli et inhibition

     

                Traiter un traumatisme psychique

                On ne peut pas effacer le souvenir du traumatisme mais on peut traiter ses symptômes ! Ceci est très important car bien souvent les patients pensent que leur état n’est pas soignable et une résignation s’installe. Tous les symptômes décrits plus haut sont un véritable handicap pour la personne qui les subit, ils attestent que le trauma est encore présent ici est maintenant, qu’il n’est pas digéré.

                 Les thérapies

               Il existe plusieurs thérapies efficaces dans ce domaine. Les trois principales sont les thérapies cognitives et comportementales orientées sur le traumatisme (TCC trauma), les thérapies psycho-dynamiques et l’EMDR. Les TCC trauma et l’EMDR sont toutes deux recommandées par la haute autorité de santé (HAS).

                 Précisions sur l’EMDR

                Je pratique l’EMDR c’est donc sur ce point que je vais plus parler.

                Selon David Servan-Schreiber, l’EMDR pourrait se définir comme une « désensibilisation et un retraitement par les mouvements oculaires ». En effet pendant les rêves, nous bougeons les yeux rapidement, le cerveau digère alors ce qui s’est passé pendant la journée et dans le passé, un travail de connexion s’établit pendant la nuit, nous permettant de relativiser. Or, après un traumatisme, le travail de connexion ne se fait plus, l’EMDR permet  donc de procéder à  l’aboutissement du travail d’archivage.

             « Le traitement par les mouvements oculaires pendant la séance d’EMDR, facilite la formation de nouvelles connexions entre les souvenirs du traumatisme. Un réseau se formerait, chaque souvenir paraissant se relier à un autre puis à un autre puis à un autre… Les souvenirs traumatiques, presque pris de vitesse, semblent alors remonter d’une connexion à une autre jusqu’au cortex préfrontal. Là il se connecte instantanément à notre connaissance de la vie, à notre expérience. Cette activité fait que notre cortex se rallume, les souvenirs traumatiques basculent dans l’univers de la raison et sont alors archivés dans le passé, l’amygdale s’éteint et le traumatisme est digéré » 

    Depuis 2004, l’EMDR est reconnu par l’INSERM comme une méthode efficace et rapide pour agir sur le syndrome du stress post-traumatique, qui était l’une des pathologies les plus difficiles à soigner. Malgré le manque de compréhension et de précision des mécanismes d’actions de cette méthode, 18 études ont démontré que  80% des consultants n’avaient plus de symptômes après 3 séances.

     

                Le traumatisme « T »  les traumatismes « t »

                Une dernière précision me semble importante à faire. La thérapie EMDR a été pratiqué avec les vétérans du Vietnam, nous sommes dans le cas de traumatisme avec un grand « T ». Les traumatismes psychiques peuvent prendre une forme différente mais tout aussi perturbante : se sont les traumatismes avec un petit « t », c’est-à-dire une succession d’événements sur le même thème dont la fréquence forme un traumatisme à part entière ! Par exemple une femme qui dans son enfance a vécu de nombreuses situations où sa mère l’a délaissée, rejetée, négligée. Ces situations répétées d’abandons ont amenées chez elle de véritables angoisses abandonniques qui sont un traumatisme à part entière et la perturbent encore aujourd’hui. La thérapie EMDR a de très bons résultats aussi pour ce type de traumatisme.
    Toute expérience humaine passée amenant une cognition négative sur soi ("je suis nul", "je ne mérite pas de ...", "je suis en danger") et qui résonne encore comme vrai ici et maintenant peut être traité par la thérapie EMDR. 


     


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